Lorsque j’ai approché 35 ans, je me suis aperçue que mon corps commençait à changer. Lui qui avait toujours relativement conforme aux canons actuels, commençait à s’en éloigner. J’ai réalisé que jusqu’alors, je ne l’avais observé que pour vérifier s’il correspondait à ce standard, c’était le cas et je m’en satisfaisais. Mais jamais je ne l’avais regardé autrement qu’à travers ce prisme social, jamais je n’avais porté sur lui mon propre regard.
Ce constat m’a amenée à me demander comment je pouvais regarder mon corps. Et, puisque je suis photographe, quelle image je pouvais en donner, qui soit une image qui m’appartienne, et non celle d’un corps de femme tel qu’on peut le voir dans l’imagerie actuelle. Cette interrogation en a amenée une autre, plus intime : est-ce que j’aime mon corps ?
Pour y répondre, je me suis enfermée dans ma chambre, face à moi-même. Petit à petit, j’ai trouvé comment photographier mon corps d’une manière qui m’était propre. Mais cela ne répondait pas à la deuxième question et, une fois les photographies imprimées, elles sont restées enfermées dans un placard.
Quelques mois plus tard, j’ai passé l’été en Bretagne. Un lieu dans lequel je me rends souvent aux beaux jours et entouré de forêts, dans lesquelles j’aime me promener, me retrouver seule dans la nature. J’observe les oiseaux, les arbres, les chevreuils qui surgissent parfois, et je me sens comme un élément de cette nature. L’été, le soleil qui perce à travers les nuages fait apparaître des rais de lumière qui éclairent des branches, des feuilles ou des toiles d’araignées. J’aime observer ces moments qui m’apaisent et les capter avec mon appareil. Imprimées, les photographies sont rangées dans leur placard.
Et en rangeant ce fameux placard, les images de mon corps et celles de ces forêts se sont retrouvées mélangées. Il m’est alors apparu que j’avais photographié l’un et l’autre de la même façon. La réponse à ma deuxième question était alors devant mes yeux : si j’ai porté le même regard sur mon corps que sur cette nature que j’aime tant, c’est certainement que j’aime mon corps. Mais au-delà, cela ne signifie-t-il pas que le corps est un élément naturel. Il est comme il est et ne doit pas souffrir de jugement.